Comme une envie de... médiathèque
18 Janvier 2018
Bonsoir…
Connaissez-vous Shéhérazade ? Cette princesse d’autrefois narra, dit-on, pendant mille et une nuits, des contes à l’homme qui l’avait épousée. Ce roi cruel tuait au matin sa mariée de la veille. Mais pas celle-là, pas Shéhérazade : la conteuse fut sauvée par sa voix, et ses histoires.
En cette Nuit de la lecture, Shéhérazade veille sur notre première histoire.
C’est une histoire à dormir debout. Un conte pour enfants tristes, pour enfants en colère, pour enfants amers. Un conte qui n’a ni le goût de l’eau des roses, ni davantage celui des rêves…
*
Il y a, dans ce pays, des centaines, des milliers d’endroits où l’on s’est réuni pour lire ce soir, cette nuit.
Dans ces centaines, ces milliers d’endroits, on lit aussi le jour. Souvent. Beaucoup. Chaque semaine. Gratuitement.
C’est une “heure du conte”, offerte dans une médiathèque.
C’est un rendez-vous avec un auteur, dans une librairie, un salon.
C’est un moment de rencontre autour de pages lues à haute voix, sur un trottoir.
Cela dure depuis longtemps. Depuis la nuit des temps.
Des moments lumineux, offerts.
Des fulgurances qui risquent de disparaître.
Car voilà que nous arrive une étrange initiative, fomentée par une société au nom barbare : la SCELF.
Cette Société civile des éditeurs de langue française exige le paiement de prélèvements sur les lectures publiques. Partout. Fussent-elles gratuites. Elle va réguler les programmes, enregistrer les lectures, faire raquer les raconteurs !
D’ailleurs, elle a déjà envoyé ses tarifs, la SCELF. Elle est sérieuse.
Elle fait ça pour « protéger les auteurs », dit-elle. Mais les auteurs ne lui ont rien demandé ! Ils écrivent pour être lus, et ces lectures offertes les font connaître, elles les font vendre, les font vivre…
Mais la SCELF fait la grosse voix : il faut payer, il faut payer ! Il faut payer !
Quelle étrange initiative, dans ce pays où l’on prétend aimer lire…
Que vont-elles devenir, ces milliers d’heures contées ? Où vont-ils disparaître, ces instants partagés ? Tous ces moments offerts, gratuits, donnés ?
Bibliothèques, associations, bénévoles, chacun devra payer, ou se taire. Alors le grand murmure des histoires lues s’éteindra, et avec lui la lumière qui illumine les yeux de tous ceux qui écoutaient ces voix.
*
Comme Shéhérazade, cette nuit, nous sommes tous en sursis : parce que c’est la lecture gratuite elle-même qui pourrait bien mourir…
Pour qu’une telle nuit sans lune ne descende pas sur le monde des livres, nous demandons au ministère de la Culture de raisonner la SCELF : que jamais quiconque ne prélève le moindre revenu sur les lectures sans billetterie.
Nous demandons aux éditeurs qui participent à cette SCELF qu’ils tranchent définitivement l’affaire, hop, d’un coup sec, comme le sabre du sultan, afin que l’on abolisse ce prélèvement indigne et que l’on accorde la vie à ces mille et une lectures, données, offertes, reçues, sans dû.
*
Nous sommes quelques milliers, plus de 25.000 à l’heure qu’il est, réunis autour d’une pétition. Auteurs et autrices, bibliothécaires et médiathécaires, éditeurs et éditrices, libraires et médiateurs, médiatrices, organisateurs de salons, lecteurs et lectrices — des milliers à garder l’œil ouvert devant ce conte absurde, cette histoire aux allures de mauvais rêve.
Et Shéhérazade est là, qui veille. Elle nous garde vigilants.
« Mais je vois le jour, dit-elle ; ce qui reste est le plus beau du conte. »
Nous vous souhaitons une belle nuit. Et que demain la lecture publique continue, murmurée pendant mille et un jours, mille et une semaines, mille et un mois, mille et un ans… qui sait ?