25 Novembre 2021
Les Passantes est un poème d'Antoine Pol (1888-1971) écrit en 1911 qui est parvenu à la notoriété principalement du fait de sa mise en musique par Georges Brassens en 1972 dans l'album Fernande. Brassens aurait eu 100 ans cette année et il considérait ce poème comme le plus grand poème de sa vie.
Je veux dédier ce poème
À toutes les femmes qu’on aime
Pendant quelques instants secrets,
À celles qu’on connaît à peine,
Qu’un destin différent entraîne
Et qu’on ne retrouve jamais.
À celle qu’on voit apparaître
Une seconde à la fenêtre
Et qui, preste, s’évanouit,
Mais dont la svelte silhouette
Est si gracieuse et fluette
Qu’on en demeure épanoui.
À la compagne de voyage
Dont les yeux, charmant paysage,
Font paraître court le chemin ;
Qu’on est seul peut-être à comprendre,
Et qu’on laisse pourtant descendre
Sans avoir effleuré sa main.
À la fine et souple valseuse
Qui vous sembla triste et nerveuse
Par une nuit de carnaval
Qui voulut rester inconnue
Et qui n’est jamais revenue
Tournoyer dans un autre bal
À celles qui sont déjà prises,
Et qui, vivant des heures grises
Près d’un être trop différent,
Vous ont, inutile folie,
Laissé voir la mélancolie
D’un avenir désespérant.
Chères images aperçues,
Espérances d’un jour déçues,
Vous serez dans l’oubli demain ;
Pour peu que le bonheur survienne,
Il est rare qu’on se souvienne
Des épisodes du chemin.
Mais si l’on a manqué sa vie,
On songe, avec un peu d’envie,
À tous ces bonheurs entrevus,
Aux cœurs qui doivent vous attendre,
Aux baisers qu’on n’osa pas prendre,
Aux yeux qu’on n’a jamais revus.
Alors, aux soirs de lassitude,
Tout en peuplant sa solitude
Des fantômes du souvenir,
On pleure les lèvres absentes
De toutes les belles passantes
Que l’on n’a pas su retenir.
Antoine Pol, in Émotions poétiques, Éditions du Monde nouveau, 1918